Frédéric L'EPEE : Shylock encore, et toujours Yang ! (Et pas que...)
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Frédéric L'EPEE : Shylock encore, et toujours Yang ! (Et pas que...)
Nice peut s'enorgueillir d'avoir (et d'avoir eu) une telle scène musicale (jazz, rock, blues...) si riche et variée... Le rock progressif, où pour être plus juste le « rock progressiste » (véritable traduction du terme à progressive music) est apparu dans notre région au milieu des années 70 comme avec Shylock. Shylock est un groupe uniquement instrumental. Deux albums sont édités : « Gialorgues » (1976) et « Île de fièvre » (1978) qui montraient un savoir faire déjà éblouissant... Frédéric joue et compose comme avec Philharmonie... Déroutant le groupe Yang en 2004, et donc Shylock reformé depuis 2012, inespéré... Il vit à Berlin depuis deux ans, et joue également dans un quartet berlinois de guitares électriques dédié à la musique contemporaine... Retrouvons Frédéric.
Shylock est revenu depuis 2012...
33 ans après sa dissolution, Shylock s’est reformé à la demande d’un festival US…qui n’a finalement pas eu lieu !
Ce promoteur américain nous avait individuellement contactés pour savoir si nous étions intéressés par une reformation au moins ponctuelle pour ce festival. J’étais au départ assez réticent, bien que j’aie tout de suite appelé les autres pour en discuter. Le plus beau est que quand nous nous sommes réunis pour une première répétition « test », la musique de Shylock, plus de trente ans après, a repris possession de nous instantanément et tout a redémarré là où nous l’avions laissé.
Ma réticence première venait surtout du fait que je ne voulais pas me disperser. J’avais toujours Yang à Nice, et pas mal de travail à Paris aussi à ce moment là.
D’ailleurs la reformation de Shylock a plutôt nuit à Yang qui a souffert d’un hiatus de presque deux ans.
Maintenant Yang a redémarré avec la finalisation de la démo de son prochain opus : « The Failure of Words ».
- Avant le groupe Shylock tu jouais du rock ?
Le rock a été mon école de guitare. Anglais d’abord : Les Beatles, les Stones, Deep Purple, Led Zep, Pink Floyd, puis les américains : Cream, Santana, Zappa & the Mothers, Mahavishnu, plus doux avec CSN&Y ou Simon & Garfunkel.
Je jouais des reprises de tout ça dans des petits lieux à Nice et dans les environs.
- Vous aviez fait deux disques, réédités (avec bonus) par le label Muséa (1994-1996) la demande existait bien donc ?
Apparemment oui ! C’est à la fin des années 80 que j’ai appris que le premier album de Shylock « Gialorgues », dans sa version auto-produite en 1975 (CBS avait racheté la production 6 mois plus tard), se vendait une petite fortune au Japon. C’est ainsi que le groupe est devenu en quelque sorte mythique, puisque les albums ont été découverts alors que nous ne nous produisions plus sur scène depuis un bon moment.
C’est alors que Musea les a ressorti, ce qui a permis à Shylock de se faire connaître par les amateurs de rock progressif dans le monde.
Nous avons sorti récemment (2014) un « Best of » composé des meilleurs titres des deux albums que nous avons tous réenregistrés plus quelques inédits qui devaient faire partie du troisième album, qui n’a jamais vu le jour.
- La musique contemporaine t'a toujours intéressé vu la structure musicale de nombreux titres de Shylock ?
Je crois qu’à l’époque de Shylock, je ne me sentais pas encore prêt pour la musique contemporaine, que j’ai vraiment découverte après cette période. Mais c’est assurément grâce à des groupes comme Henry Cow et des musiciens comme Fred Frith et Frank Zappa que j’ai été amené à ouvrir mes oreilles à des discours musicaux plus élaborés. Et j’écoutais ça à l’époque de Shylock.
Mais il faut aussi considérer que Shylock était un groupe de composition collective, et que les autres musiciens, Didier Lustig et André Fisichella, à l’époque de la composition des deux albums, s’intéressaient aussi à des musique innovantes.
- En 2012 le groupe revient presque sous sa mouture originale.
Carrément sous sa mouture originale, puisqu’avec les trois membres fondateurs, Didier, André et moi. Serge Suma, qui tenait la basse dans la dernière version du groupe, n’a pas pu se relancer dans l’aventure avec nous, alors nous avons demandé à Laurent James, guitariste dans Yang, s’il voulait prendre la basse dans Shylock. Et comme il aime prendre des risques…
- L’accueil au Portugal, ou au Mexique ce fut inoubliable ce festival Baja Prog...
Les festivals auxquels nous avons participé nous ont remplis de joie. C’est au Gouveia Art Rock festival au Portugal qu’a eu lieu le premier concert du retour de Shylock. J’étais malheureusement atteint d’un rhume épouvantable qui m’a empêché d’apprécier pleinement le moment. Puis il y a eu ProgSud, près de Marseille, où nous avons été magnifiquement accueillis, le Triton à Paris, mémorable également, et enfin ce festival mexicain Baja Prog, un gros évènement, qui nous a permis de jouer devant des fans des deux Amériques (des trois avec l’Amérique Centrale). Un son énorme, un public énorme, oui, des souvenirs inoubliables.
- Ce retour inespéré, ça c'est fait facilement en définitive ?
Finalement oui. Lorsque j’ai reçu l’email du promoteur de festival, j’ai appelé Didier, le clavier, qui habitait également à Paris et que je voyais régulièrement, puis André, le batteur.
Nous nous sommes revus à Nice et le courant s’est réenclenché immédiatement.
Pas d’atermoiements, pas de discussions au sujet d’argent - nous savions que nous allions plus en dépenser qu’en gagner - ou de droits.
Seul nous a motivé le plaisir de rejouer cette musique, qui nous habitait toujours, devant des fans qui n’avaient jamais eu l’occasion de nous voir live.
- Pour votre 1er dvd au festival Prog'Sud ('mai 2012), vous jouez des titres des 2 premiers albums...
Essentiellement oui. Nous avions un set d’une heure dans lequel nous avons joué les 5 principaux titres des deux premiers albums du groupe. Mais ce DVD est maintenant épuisé.
Certains de ces morceaux sont très composés : Le Quatrième, Île de Fièvre, le milieu du Cinquième, certain contiennent des parties très libres comme le début du Cinquième, entièrement improvisé et dans Laocksetal.
J’ai eu le souffle coupé lorsqu’au moment d’attaquer le thème principal du Quatrième, j’ai entendu le public chanter les notes en même temps que je les jouais. J’ai du faire un effort de concentration immense pour ne pas laisser l’émotion me submerger.
- Shylock pour 2016 c'est des concerts, des projets à venir ?
Shylock existe pour le plaisir, le nôtre et celui des fans. Notre objectif n’est pas de faire du forcing pour jouer, nous avons tous des projets personnels qui nous prennent beaucoup de temps.
Je ne propose le groupe qu’aux festivals ou à des lieux spécialisés dans le rock progressif. Tous savent maintenant que nous nous sommes reformés. S’ils n’ont pas de public pour Shylock, nous continuons simplement à nous occuper de nos projets respectifs.
Un concert de Shylock est une sorte de plongée dans notre passé de jeunes adultes, comme des vacances rafraîchissantes, et nous en profitons également, comme au Mexique ou au Portugal, pour voir du pays…
Nous ne savons donc pas encore ce qu’il va se passer en 2016.
- Parlons de Yang, 2 albums et vous venez de le terminer ce nouvel album pour 2016…
Yang est très différent de Shylock. Bien que classé dans le rock progressif, sa musique est un peu dure pour les amateurs d’envolées de synthés et de nappes de mellotron, à la fois plus violente et plus intimiste.
Nous sommes deux guitaristes, Laurent James et moi, un bassiste, Nico Gomez et un batteur, Volodia Brice.
Dans sa première version et pour le premier album « Une Nature Complexe », Julien Vecchié était à la guitare et Stéphane Bertrand à la basse. C’était en 2004.
« Machines » est sorti en 2010 avec la présente formation.
La composition du troisième « The Failure of Words » (L’Echec des Mots) est terminée, la maquette enregistrée mais nous n’avons pas encore de date pour sa sortie. Ce devrait être courant 2016.
Un album tous les six ans environs. Cela est sans doute dû au fait que nous sommes éloignés les uns des autres. J’étais à Paris à partir de 2003, et depuis 2013 je vis à Berlin. Les autres membres du groupe vivent à Nice ou dans la région, pas facile pour se voir…
- Si je dis Yang est le côté "hard rock", où Shylock est plus cool, à priori...
A priori oui, mais si on écoute « Laocksetal » de Shylock et « Compassion » de Yang on pensera le contraire.
Le fait que la musique de Yang ne contienne que des guitares, souvent saturées, lui donne un côté plus « hard » si on veux, mais les deux atmosphères sont vraiment très différentes.
Je pense que Yang est plutôt dans la continuité de mon groupe des années 90, Philharmonie, à l’origine entièrement composé de guitares, puis à la fin de son existence d’une guitare, d’une « touch guitar » et d’une batterie.
Nous rejouons d’ailleurs quelquefois un ou deux titres de Philharmonie dans les concerts de Yang.
Les journalistes comparent souvent Yang à King Crimson. Je comprends d’autant plus cette comparaison que j’ai fondé ce groupe pour explorer certains territoires ouvert par Crimson, mais les fondement musicaux des deux groupes n’ont quasiment rien en commun. Tout d’abord, King Crimson est chanté. Il ne me serait pas venu à l’idée d’incorporer un chanteur à Yang. Crimson était expérimental à l’époque, travaillant beaucoup avec les atmosphères et l’improvisation, alors que la musique de Yang est très composée, harmoniquement et mélodiquement.
Certains sons de guitare sont proches de ceux de Robert Fripp, mais pas tant que ça finalement.
- Je sais que tu es élève de Robert Fripp, parle nous de ta rencontre ?
J’ai été élève de Fripp bien avant de le rencontrer, c’est en entendant le son de sa guitare dans l’album live Earthbound que j’ai décidé de me consacrer à cet instrument. C’était justement le type de son que je recherchais.
Je l’ai rencontré lorsque, en 1988, un séminaire de "Guitar Craft" a eu lieu en France. J’étais déjà un guitariste expérimenté à ce moment là mais je réfléchissais beaucoup sur mon métier de musicien et j’étais attiré par le nouvel accordage qu’il avait créé, le « New Standard Tuning ».
La rencontre a été fructueuse. Je lui avais écrit au préalable et nous avons pu entrer dans le vif de ce qui me préoccupait. Ses conseils et son expérience m’ont ouvert des voies créatives que je ne soupçonnais même pas.
Nous sommes depuis restés en contact et il nous arrive de correspondre par email.
- Fred Frith (Henry Cow) et Robert Fripp (King Crimson) sont tes influences majeures, mais pas que je suppose ?
Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, c’était un instrument parmi d’autres, je jouais aussi de différents claviers, de la batterie, j’ai essayé la flûte, le saxophone, je faisais de la musique avec tout ce qui me tombait sous les doigts.
Le premier guitariste “exemplaire” a été Jimmy Page que j’ai découvert avec l’album n° 2 de Led Zeppelin. J’ai découvert ensuite Ritchie Blackmore avec Deep Purple “In Rock”. À cette époque, Jimi Hendrix ne m’intéressait pas trop, je n’arrivais pas à accrocher à son jeu.
Je me suis mis à jouer un peu de guitare classique avec des pieces renaissance de John Dowland, puis vint John McLaughlin avec son Mahavishnu Orchestra, et enfin le rock Progressif avec, en effet, Robert Fripp, puis Fred Frith.
- La recherche de mélodie n'est pas toujours là, la dissonance sonore nous amène à la musique contemporaine, tu as toujours été attiré par cette approche musicale que l'on ressent dans Shylock déjà…
En fait, j’ai toujours été un mélodiste. Même si les mélodies que j’entends ne sont pas toujours perceptibles aux premières écoutes, elles sont toujours à l’origine de mes compositions, quelquefois cachées dans l’épaisseur harmonique, quelquefois à démêler d’un écheveau de contrepoints.
Une mélodie n’est pas obligatoirement consonante, la dissonance est une composante musicale indispensable, de même que le silence. Toutefois, je ne me force jamais à faire de la musique dissonante ou consonante, je n’écris que ce que j’entends.
- Les étiquettes musicales c'est pas évident à définir, mais nécessaire pour éclairer la lectrice ou le lecteur, où es tu dans cette large palette ?
Quand je dois expliquer à quelqu’un ce que je fais, je dis que je suis compositeur contemporain et guitariste de rock.
- A propos de palette, ton travail est comme l'artiste peintre ou sculpteur…
Je ne sais pas dans quelle mesure on peut dire ça. Artistiquement, il est vrai qu’on peut utiliser des expressions issues des arts visuels comme la couleur, l’architecture, le pointillisme, mais ce ne sont que des associations.
La peinture, la sculpture sont des arts concrets dans le sens où on modèle et travaille la matière. Le résultat est matériel et fixe dans le temps (bien que son pouvoir soit immatériel).
La musique tire son essence du son, qui lui même est issu de vibrations transportées par l’air et se développe dans le temps. Le résultat est immatériel et se déploie dans le temps.
- Tu vis à Berlin depuis deux ans, tu travailles ton activité de compositeur contemporain, éclaire nous…
Mon déménagement à Berlin n’a pas vraiment de raison professionnelle. Il est vrai que j’y suis allé pour assister à la création d’une de mes pièces pour guitare électrique et accordéon et qu’à partir de ce jour j’ai eu envie de venir y habiter.
Je m’y suis donc installé pour l’ambiance, très ouverte et décontractée, très éloignée de la vie que j’ai connue à Paris. Mais Berlin n’est pas représentative de l’Allemagne.
Il s’est avéré par la suite que j’y ai trouvé une ouverture sur le plan des musiques nouvelles plus large qu’en France où les styles sont plus cloisonnés. Pour ne citer que l’exemple qui me concerne, le fait que je sois à la fois un musicien de rock et un compositeur contemporain est un atout à Berlin, en France c’était une aberration.
- Et ce quartet berlinois de guitares électriques ?
J’ai tout de suite rencontré des musiciens à Berlin, et ma venue a occasionné la création de cet ensemble de guitares électriques.
Ce quartet, nommé E-Werk (qui pourrait se traduire en Français par « travaux électriques ») est spécialisé dans la musique contemporaine, ce qui nous amène à jouer de la musique de jeunes et moins jeunes compositeurs, allemands bien sûr mais aussi du monde entier.
Évidemment, nous jouons aussi ma musique.
- Décris nous cette oeuvre pour 4 guitares électriques Étude Campanologique n°3
C’est impossible de décrire de la musique, tu le sais. Toutefois, ce que je peux dire est que la pièce entière est jouée presque sans la main droite, et que le tout est un travail sur les sons de cloches (d’où le titre). N°3 parce que je considère les titres de Philharmonie « Campanile » et « Les Éléphants Carillonneurs » comme les études n°1 et 2, composées collectivement par l’ensemble du groupe.
- Un projet avec un nouveau groupe de rock à Berlin pour l'année...
J’y ai pensé très sérieusement et j’y pense toujours mais n’ai pas encore trouvé les musiciens avec lesquels je pourrais vraiment partager et créer quelque chose de nouveau.
De plus mon activité de compositeur m’a pris beaucoup de temps ces derniers mois, ainsi que la préparation de « The Failure of Words », le prochain album de Yang.
Merci Fred !
Jack Lalli
Sites :
http://fredericlepee.eu
http://yanggroup.fr
http://ewerkmusic.com
http://shylock.eu